Bientôt les élections municipales à Genève : histoires de quorum

Les règles

A Genève, les élections pour les conseils municipaux de toutes les communes ont lieu au scrutin proportionnel. Pour corriger l’éparpillement des forces qui peut résulter de ce système, la Constitution genevoise (Cst./GE) prévoit un quorum de 7%.

Selon l’article 54 alinéa 2 Cst./GE, « les listes qui ont recueilli moins de 7% des suffrages exprimés n’obtiennent aucun siège ». Les suffrages obtenus par les listes qui n’ont pas atteint le quorum sont donc perdus, car ils n’entrent pas du tout en considération pour la répartition des sièges, même si la liste en cause est apparentée avec d’autres listes.

Des listes peuvent en effet être apparentées, ce qui leur permet de consolider leurs résultats. La loi sur les droits politiques (LEDP) prévoit qu’un groupe de listes apparentées est considéré à l’égard des autres listes, pour le calcul de la répartition proportionnelle des sièges, comme une seule liste (art. 151 al. 2 LEDP). On calcule donc d’abord le nombre de sièges à attribuer au groupe de listes apparentées, puis on répartit ce nombre entre les listes apparentées, toujours selon la méthode proportionnelle. On pourrait imaginer que, comme l’exige la Constitution, les listes apparentées n’ayant pas atteint le quorum soient exclues de cette deuxième répartition, donc n’obtiennent aucun siège, mais que leurs suffrages soient néanmoins pris en compte pour calculer le nombre de sièges attribués au groupe.

A mon avis, le texte de la Constitution n’exclut pas cette formule, qui aurait l’avantage de mieux refléter la volonté des électeurs, en diminuant le nombre de suffrages totalement « perdus » tout en maintenant le frein à l’éparpillement des sièges. Le législateur genevois a toutefois fait un autre choix en prévoyant clairement que « les listes d’un groupe de listes apparentées qui n’ont pas atteint le quorum de 7% sont éliminées du groupe » (art. 162 al. 1 LEDP).

Cette solution constitue une mise en œuvre sans doute admissible de la Constitution genevoise. Mais elle est regrettable dans la mesure où elle augmente sensiblement le risque de suffrages privés d’effet. Ce risque est d’autant plus significatif que le quorum de 7% en vigueur dans le canton de Genève est particulièrement élevé. Il faut cependant reconnaître que la combinaison d’un quorum élevé et de son application aux apparentements incite très fortement à la constitution de listes d’union entre forces politiques dont les programmes sont proches.

L’effet sur les prochaines élections

L’existence du quorum, tel qu’il vient d’être décrit peut avoir un effet sur les partis, avant le dépôt des listes, et sur les électeurs et électrices, au moment de voter.

Le premier effet est celui, déjà évoqué, d’incitation aux listes d’union regroupant des candidatures de partis distincts qui craignent de ne pas obtenir le quorum s’ils partent sur des listes séparées. Pour les prochaines élections, cet effet a joué, en Ville de Genève, aussi bien à gauche qu’au centre-droit. Les différentes composantes de la gauche radicale ont réussi constituer une liste commune. La quasi-certitude de passer sous le quorum en cas de listes séparées, comme cela s’est produit lors des dernières élections cantonales, a été décisive. Au centre-droit, la liste réunissant le Centre et les Verts-Libéraux ne s’imposait pas aussi manifestement. Mais elle permet au Centre de sécuriser sa place au Conseil municipal et aux Verts-Libéraux d’être certains d’y faire leur entrée.

Le deuxième effet, plus difficile à mesurer et encore plus à prédire, est celui du vote utile.

Lorsqu’il est très largement prévu qu’une liste n’obtiendra pas le quorum, on se trouve devant une prophétie auto-réalisatrice. Beaucoup d’électeurs ou d’électrices, a priori tentés de voter pour cette liste, vont finalement en choisir une autre, à laquelle le quorum est promis, pour s’assurer que leur vote aura un effet. Ce cas est assez simple.

L’effet « vote utile » est beaucoup plus difficile à cerner lorsque l’obtention du quorum est envisageable mais loin d’être acquise. Pour les prochaines élections en Ville de Genève, tel est le cas des listes « Ensemble à gauche et Union populaire » et « Liberté et justice sociale ».

Dans ces conditions, le vote utile peut jouer dans les deux sens.

Des personnes ayant une sympathie pour ces listes peuvent renoncer à les soutenir par crainte de voir leur vote perdre tout effet si ces listes n’obtiennent pas le quorum. Mais, à l’inverse, des personnes qui auraient, sur la base de leur seule orientation politique, choisi un parti apparenté (ou au moins de la même tendance politique générale) peuvent être tentées de voter « tactiquement » pour la liste sur le ballant afin qu’elle obtienne des sièges, ce qui sera favorable au groupe de listes apparentées ou à la tendance politique générale dans laquelle cette liste s’inscrit.

Pour les prochaines élections en Ville de Genève, ce dernier phénomène est probable en ce qui concerne la liste « Ensemble à gauche et Union populaire », même s’il est impossible d’en prédire l’ampleur. Si cette liste obtient finalement le quorum et, par la même occasion, permet à l’apparentement de gauche de maintenir sa majorité au Conseil municipal, les Socialistes et les Verts se consoleront facilement des suffrages ainsi cédés à leurs alliés. Mais si le quorum est manqué de peu, la perte alors probable de la majorité sera d’autant plus rageante.

La liste « Liberté et justice sociale » ne devrait pas bénéficier du même vote tactique en l’absence d’apparentement entre les listes situées à droite de l’échiquier politique.

Dans un paysage politique très fragmenté en Ville de Genève, la règle du quorum pèse donc de manière décisive sur l’élection du conseil municipal, non seulement en vue du dépouillement et de la répartition des sièges, mais déjà, en termes de gestion des risques et de paris politiques, sur le comportement des partis et du corps électoral.