Catégorie : Politique

  • Qui a peur des personnes handicapées ? Partie 1, post-scriptum : la claque vaudoise

    Pour qui s’engage en faveur de la pleine égalité politique des personnes handicapées, les votations du 30 novembre dernier ont réservé une satisfaction modérée et une douloureuse surprise.

    La satisfaction vient du canton de Zoug, dont le peuple a accepté d’accorder les droits politiques sans réserve aux personnes en situation de handicap mental ou psychique. Le résultat, avec 2,6% d’écart en faveur du oui, n’est pas un triomphe. Mais l’essentiel est que Zoug a rejoint Genève, Appenzell Rhodes intérieures et Glaris (que j’avais oublié dans ma précédente note) dans le camp des cantons qui appliquent le principe du suffrage universel aux personnes handicapées.

    Le résultat vaudois est en revanche consternant. A plus de 70% le peuple vaudois a refusé d’accorder les droits politiques aux personnes sous curatelle de portée générale. Même des bastions progressistes, comme Lausanne ou Renens, ont voté non à une écrasante majorité. Pour les personnes concernées c’est une cruelle humiliation. Pour leurs soutiens, c’est une défaite douloureuse et difficile à expliquer.

    Comment comprendre que le canton de Vaud, dont le profil politique est assez comparable à celui de Genève, se montre non seulement plus conservateur que ce dernier canton, mais également plus rétrograde que des cantons de Suisse centrale et orientale classés usuellement comme très traditionalistes ?

    On peut envisager deux hypothèses, qui ne s’excluent pas mutuellement.

    La première serait celle d’une exception vaudoise. Y aurait-il dans l’histoire, la sociologie, la politique ou la mentalité vaudoises, le fondement d’une peur plus importante qu’ailleurs des personnes en situation de handicap mental ou psychique ? En l’absence de tout indice manifeste en ce sens, on peine à le croire. Il n’empêche que l’ampleur et la relative homogénéité du résultat du 30 novembre empêchent d’exclure d’emblée cette hypothèse. Il appartiendrait à des sociologues ou politologues spécialistes du canton de Vaud de tenter de la vérifier ou de l’infirmer.

    La deuxième hypothèse est celle d’une campagne de votation ayant manqué sa cible. Peut-être la campagne des opposants a-t-elle été plus vigoureuse qu’ailleurs et sous-estimée par les partisans du oui. Peut-être que le travail de fond préalable à la réforme aurait dû être plus important, que l’ampleur des préjugés n’a pas été saisie, que les voix de gauche ont été trop facilement considérées comme acquises et que les nécessaires relais à droite ont été négligés. Comme genevois simple observateur, je me garderai bien de porter un jugement, encore moins de critiquer la campagne des organisations qui ont soutenu la réforme. Mais il est probable que ces organisations ont ou vont se poser les questions esquissées ici et bien d’autres.

    Quoi qu’il en soit, le chemin vaudois vers le suffrage vraiment universel s’annonce plus long et difficile que prévu. Passé le choc du résultat du 30 novembre, il faudra non pas stigmatiser une décision du peuple, aussi dure soit-elle pour les personnes concernées, mais reprendre le travail pédagogique, pour démonter, pas à pas, les préjugés. A défaut, Appenzell Rhodes intérieures et Vaud pourraient, par une cruelle ironie, échanger leurs places dans l’histoire suisse du suffrage universel. Rappelons que, s’agissant du suffrage féminin, Vaud avait été pionnier et Appenzell l’a toujours refusé, obligeant le Tribunal fédéral à intervenir pour le lui imposer. En ce qui concerne le droit de vote des personnes handicapées, Appenzell a été le deuxième canton à l’accorder. Au vu de l’ampleur du récent refus vaudois et de l’évolution en cours au niveau fédéral et dans les autres cantons, il serait présomptueux d’exclure que, dans une dizaine d’années, Vaud ne soit la cible du Tribunal fédéral, comme dernier canton à dénier le droit de vote à des personnes handicapées, en violation de la convention internationale relative aux droits de ces personnes.

  • Qui a peur des personnes handicapées ? Partie 1 : l’égalité politique

    Les personnes en situation de handicap sont encore trop souvent victimes de validisme, à savoir un système complexe et multidimensionnel de préjugés et de discriminations à leur encontre, qui peut aller jusqu’au mépris (définition inspirée de celle plus complète donnée sur Agile.ch). Deux exemples d’actualité montrent combien le validisme, fondé sur une vision biaisée des personnes en situation de handicap et sur des peurs irrationnelles, fait obstacle à la pleine reconnaissance des droits et de la dignité de ces personnes. Le premier exemple, traité ici, porte sur la question de l’égalité politique, le second, qui sera abordé dans une prochaine note, est celui de l’école inclusive.

    Une privation des droits politiques injuste et contraire au droit international

    Aujourd’hui encore, sur le plan fédéral et dans une grande majorité de cantons, une personne qui fait l’objet d’une mesure de protection de droit civil, comme une curatelle de portée générale, perd ses droit politiques si elle est considérée comme durablement incapable de discernement (voir notamment l’art. 136 al. 1 Cst. féd. et l’art. 2 de la loi fédérale sur les droits politiques). Cette incapacité peut résulter d’un handicap mental ou psychique, qui a toujours été présent ou qui est apparu avec le grand âge. Elle se juge en fonction du besoin d’une curatelle pour la gestion des affaires privées. Or, il est tout à fait concevable qu’une personne soit incapable de gérer seule ses biens et revenus, mais qu’elle soit en mesure de voter. (suite…)

  • Supprimer la Ville de Genève : bête et méchant, mais surtout inconstitutionnel !

    Bête

    Les candidats UDC au Conseil administratif et au Conseil municipal de la Ville de Genève se gardent bien d’en parler, mais si le Grand Conseil avait suivi leur parti, il n’y aurait pas d’élections municipales en Ville de Genève le week-end prochain.

    L’UDC avait en effet déposé en 2023 un projet de loi (PL 13357) prévoyant qu’en Ville de Genève, les tâches dévolues l’administration municipale sont exécutées par l’administration cantonale. Le texte du PL, bâclé et mal ficelé, est ambigu et on pourrait l’interpréter comme laissant subsister les institutions de la Ville de Genève tout en transférant au canton le personnel de celle-ci. Mais l’exposé des motifs est clair : il se réfère au modèle bâlois, qu’il veut transposer à Genève. A Bâle, seules les communes de Riehen et de Bettingen disposent d’institutions propres, le canton se chargeant de toutes les affaires de la commune municipale de Bâle. Le but du projet UDC était donc bien de supprimer la Ville de Genève en tant que collectivité possédant des organes et une administration propres. L’exposé des motifs précisait d’ailleurs que « le droit de vote communal en Ville de Genève deviendra toutefois sans objet dans la mesure où l’exécution des compétences dévolues à l’actuelle Ville sera transférée au canton ».

    Ce PL, pas sérieux mais révélateur de certains fantasmes politiques, a été rejeté il y a quelques semaines, non sans avoir occupé plusieurs séances de la commission parlementaire compétente. (suite…)

  • Bientôt les élections municipales à Genève : comment voter efficacement, mode d’emploi

    Les règles

    Dans le système proportionnel en vigueur à Genève, chaque personne ayant le droit de vote dispose de deux types de suffrages : les suffrages de liste et les suffrages individuels (nominatifs).

    Chaque électeur ou électrice dispose d’abord d’un nombre de suffrages de liste égal au nombre de sièges à pourvoir. Cela représente, par exemple, 80 suffrages en Ville de Genève, 37 à Vernier et 15 à Gy.

    (suite…)

  • Bientôt les élections municipales à Genève : histoires de quorum

    Les règles

    A Genève, les élections pour les conseils municipaux de toutes les communes ont lieu au scrutin proportionnel. Pour corriger l’éparpillement des forces qui peut résulter de ce système, la Constitution genevoise (Cst./GE) prévoit un quorum de 7%.

    Selon l’article 54 alinéa 2 Cst./GE, « les listes qui ont recueilli moins de 7% des suffrages exprimés n’obtiennent aucun siège ». Les suffrages obtenus par les listes qui n’ont pas atteint le quorum sont donc perdus, car ils n’entrent pas du tout en considération pour la répartition des sièges, même si la liste en cause est apparentée avec d’autres listes.

    Des listes peuvent en effet être apparentées, ce qui leur permet de consolider leurs résultats. La loi sur les droits politiques (LEDP) prévoit qu’un groupe de listes apparentées est considéré à l’égard des autres listes, pour le calcul de la répartition proportionnelle des sièges, comme une seule liste (art. 151 al. 2 LEDP). On calcule donc d’abord le nombre de sièges à attribuer au groupe de listes apparentées, puis on répartit ce nombre entre les listes apparentées, toujours selon la méthode proportionnelle. On pourrait imaginer que, comme l’exige la Constitution, les listes apparentées n’ayant pas atteint le quorum soient exclues de cette deuxième répartition, donc n’obtiennent aucun siège, mais que leurs suffrages soient néanmoins pris en compte pour calculer le nombre de sièges attribués au groupe. (suite…)