Qui a peur des personnes handicapées ? Partie 1 : l’égalité politique

Les personnes en situation de handicap sont encore trop souvent victimes de validisme, à savoir un système complexe et multidimensionnel de préjugés et de discriminations à leur encontre, qui peut aller jusqu’au mépris (définition inspirée de celle plus complète donnée sur Agile.ch). Deux exemples d’actualité montrent combien le validisme, fondé sur une vision biaisée des personnes en situation de handicap et sur des peurs irrationnelles, fait obstacle à la pleine reconnaissance des droits et de la dignité de ces personnes. Le premier exemple, traité ici, porte sur la question de l’égalité politique, le second, qui sera abordé dans une prochaine note, est celui de l’école inclusive.

Une privation des droits politiques injuste et contraire au droit international

Aujourd’hui encore, sur le plan fédéral et dans une grande majorité de cantons, une personne qui fait l’objet d’une mesure de protection de droit civil, comme une curatelle de portée générale, perd ses droit politiques si elle est considérée comme durablement incapable de discernement (voir notamment l’art. 136 al. 1 Cst. féd. et l’art. 2 de la loi fédérale sur les droits politiques). Cette incapacité peut résulter d’un handicap mental ou psychique, qui a toujours été présent ou qui est apparu avec le grand âge. Elle se juge en fonction du besoin d’une curatelle pour la gestion des affaires privées. Or, il est tout à fait concevable qu’une personne soit incapable de gérer seule ses biens et revenus, mais qu’elle soit en mesure de voter.

Priver de leurs droits politiques des personnes handicapées ou âgées pour des motifs relevant de la gestion des affaires privées est ainsi inutile et discriminatoire. Si une personne n’est pas capable de réaliser ce qu’est un vote ou une élection, en raison d’un handicap mental ou psychique, elle n’utilisera tout simplement pas son droit de vote. Il est inutile de l’en empêcher légalement. Si cette personne est en mesure, malgré son handicap, d’exercer ses droits politiques, il est discriminatoire et attentatoire à sa dignité de le lui interdire. La réglementation actuelle prédominante en Suisse est ainsi contraire à la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), qui prévoit, à son article 29, l’égalité des droits politiques pour celles-ci.

Ces dernières années, suivant l’exemple de nombreux pays, dont les voisins de la Suisse, un mouvement s’est dessiné pour supprimer la discrimination des personnes handicapées en matière de droits politiques. Le canton de Genève a été le premier, en 2020, à accorder aux personnes en situation de handicap mental ou psychique la plénitude des droits politiques. Le canton d’Appenzell Rhodes Intérieures a suivi en 2024. Le canton de Soleure s’apprête à en faire de même, suite a une proposition fortement soutenue par le parlement cantonal ce printemps. Cette année encore, les chambres fédérales ont accepté, à une large majorité, une motion allant dans le même sens.

Le 30 novembre, le peuple vaudois, comme celui de Zoug, décidera de rejoindre ou non le camp de l’égalité politique des personnes handicapées. Le résultat est difficile à prévoir, en raison d’une opposition un peu suprenante, fondée sur des préjugés persistants.

Des craintes mal ciblées et infondées

Deux craintes sont traditionnellement exprimées à l’encontre de l’octroi des droits politiques complets aux personnes en situation de handicap mental ou psychique.

La première crainte est celle d’une dévalorisation du droit de vote par un mauvais usage de celui-ci. On affirme souvent que, pour voter, il faut être capable de comprendre pleinement les enjeux et les questions posées. Or, le suffrage universel ne saurait être subordonné à la réussite d’examens de connaissances civiques ou à l’atteinte d’un certain quotient intellectuel. D’une manière générale, les électeurs et électrices n’ont à prouver ni leur capacité de discernement ni leur compréhension des différents enjeux en cause avant d’exercer leur droit de vote. Cibler sous cet angle les personnes qui ont besoin d’aide, sous forme d’une curatelle, pour gérer leurs affaires privées est discriminatoire et attentatoire à leur dignité.

La deuxième crainte est celle des abus dans l’exercice du droit de vote. Il est ainsi régulièrement allégué que la privation des droits politiques viserait à protéger les personnes handicapées contre la captation de leur vote. C’est triplement faux. D’abord, il est insultant de laisser entendre que les proches et le personnel qui s’occupent des personnes handicapées sont des fraudeurs en puissance. Ensuite, le risque théorique de captation de vote existe chaque fois qu’il y a dépendance. Or, il n’a, à juste titre, jamais été question de supprimer les droits politiques de toutes les personnes malvoyantes, hospitalisées ou résidant en EMS. Enfin, s’il y a vraiment risque de fraude, il faut évidemment punir les fraudeurs et non leurs victimes. Penserait-on à confisquer toutes les montres et voitures de luxe au motif qu’elles sont particulièrement susceptibles d’attirer la convoitise des voleurs ?

On terminera en observant que, dans les pays et cantons qui ont aboli toutes les restrictions aux droits politques des personnes handicapées, cette réforme n’a posé absolument aucun problème de mise en œuvre.

Il faut donc espérer que le peuple vaudois et celui de Zoug iront dans le sens de l’histoire en reconnaissant à toutes les personnes handicapées la dignité de citoyennes et de citoyens à part entière.